Musique
Seth Gueko
“J’ai le sentiment que le rap doit être une forme de continuité du punk, une musique en marge, alternative.”
“Dans le fond, mon rap c’est du cinéma pour aveugle qui s’écoute avec du pop corn.” Seth Gueko
Seth Gueko, c’est le nom du personnage de George Clooney dans Une nuit en enfer de Roberto Rodriguez. Mais depuis le début des années 2000, c’est surtout le blaze d’un des artistes les plus créatifs du rap game. Révélé par l’écurie Neochrome et par des mixtapes dont le nom vous reste planté dans la tête comme un coup de fusil à pompe (Barillet plein, Patate de forain, Drive by en caravane, Les Fils de Jack Mess), Nicolas Salvadori - de son vrai nom - continue de réinventer le genre à coup de punchlines improbables et de fulgurances sémantiques. Adoubé par les puristes après trois albums qui se sont taillés une place dans le panthéon du hip-hop tricolore, (La Chevalière, Michtoet le très récent Bad Cowboy), le rappeur saint-ouenais, aujourd’hui âgé de 35 ans, continue de creuser son sillon sans se soucier des sirènes commerciales. Exilé depuis quelques années en Thaïlande, le Gueko a pris de la distance avec le rap tricolore et son tropisme US. Plutôt que de réciter la leçon des States, Seth préfère arroser les amateurs de punchline comme un vietcong posé sur une colline de Diên Biên Phu. Après deux ans d’interminable attente, les aficionados vont être servis. Délaissant le sable chaud des plages de Kata et Karon, Seth Gueko est (enfin) de retour sur le vieux continent avec un nouvel album à la sauce aigre douce dans son escarcelle. Loin d’être anecdotique, le titre de l’album, Professeur Punchline, résonne comme une promesse. Ce surnom « l’écolier de rue » l’a gagné par sa virtuosité à aligner les figures de style bigarrées et les jeux de mots au patois azimuté. Des textes hardcore au ton ludique assumé comme le port du marcel sur un chantier de terrassement. Mais plus qu’un album, Professeur Punchline est une masterclass où Seth Gueko se fait -et nous fait- plaisir avec une prose de haute voltige, un flow assassin et des torsions d’onomatopées rappelant délicieusement Gainsbourg sur « Comic Strip ». « J’aime tordre les mots dans tous les sens, j’aime être drôle, me faire comprendre par une image, une métaphore, pour qu’elle percute directe. Dans le fond, mon rap c’est du cinéma pour aveugle qui s’écoute avec du pop corn », confie t-il, pédagogue quelques mois avant la sortie de l’album. Dans un titre hommage à Joeystarr, le rimeur à gages démontre même que son parcours n’est pas si éloigné de celui du Jaguarr Gorgone et que sa reconversion sera peut-être à scruter du coté du 7eme art. Si dans « Gros dérapage », Seth annonce que « la Thaïlande l’a rendu zen », elle n’a pas tranquillisé ses rimes. Le patron de la punch’ revient plus sombre que jamais. Tout au long des 17 titres qui composent l’album, le natif de Saint-Ouen l’Aumône nous chope par le col pour une virée sombre et hyper réaliste qu’il narre d’une voix rauque à la Khal Drogo. Chez le Gueko comme chez Prévert, « le nageur est déjà un noyé ». Dans ses textes, les bimbos planquent des Uzis derrière leur string ficelle et ses voisins de cordée semblent tout droit sortis d’un film de zombies de George Romero. Même si « faire disque d’or avec du rap hardcore c’est aussi dur que déboucher des chiottes
avec un cintre » comme il le raconte sur le titre « Val d’Oseille », le professeur punchline n’entend pas, pour notre plus grand plaisir, changer de braquet. Il continuera à rapper pour les « fumeurs de sat’ », les « buveurs d’absinthe » et pour les bricolos du dimanche qui ont du cambouis plein les mains. Fils d’une famille nombreuse de 6 frères et sœurs, Seth montre qu’il a la débrouillardise dans le sang et les talents de mélangeur d’un milk shaker. Alors que la France sent de plus en plus le rance, Gueko répond à cette ambiance anxiogène par une diversité sémantique et le rassemblement des cultures. Dans ses textes ultra-référencés, le morret d’ascendance russo-italienne puise autant dans la langue manouche qu’arabe ou javanaise. Souvent plagié, jamais égalé, Seth Gueko s’amuse aujourd’hui des MC qui« passent l’aspirateur » chez lui. « Mes punchlines tombent du ciel, je n’ai plus qu’à ramasser. Si tu veux pécho, tu sais où aller ». Troquant son T-Max pour un blouson de cuir et une grosse Harley, Seth montre aussi qu’il fait du rap de loubard, de tatoué, de puriste. Héritier de la culture des Garçons bouchers, de Ludwig Von 88 et des Béruriers Noir, Seth Gueko se vit comme le dernier des punks. « Je me sens plus rockeur que rappeur, explique t-il en descendant une bière. J’ai le sentiment que le rap doit être une forme de continuité du punk, une musique en marge, alternative. Dans cet album, il y a tout ce que j’aime ». Alors que le rap a selon lui « transformé les mecs de tess’ en grandes bourgeoises » et que le « net a fait pousser des couilles aux tapettes », comme il le rappelle dans le très gros feat. qu’il signe avec Gradur, le gars Gueko continue à puiser dans la pop culture (Walking Dead, Breaking Bad…) et dans l’argot parisien pour réinventer sa musique. Chacune de ses phrases semble ainsi tout droit sortie d’un film de Michel Audiard, d’une BD de Franck Margerin ou bien encore d’un polar poisseux signé par feu Jean-Patrick Manchette.Le tout saupoudré à la sauce Buitoni. Dans « Titi parisien », Gueko s’épanche d’ailleurs sur sa jeunesse dans la banlieue rouge. Sur une instru mélancolique, le Bad Cowboy pose son gun et la langue se délie. Il rend hommage à la communauté antifasciste et à Clément Méric. Montrant ainsi qu’il n’y a pas besoin d’une logorrhée moralisatrice pour que son rap soit politique. A l’image de la magnifique cover de l’album où Seth Gueko apparaît torse nu et tatoué avec une main posée sur le visage, le rappeur saint-ouenais semble autant maitriser son corps que son œuvre. A l’heure de l’uniformisation des fables à la kalash et des gros bouls en Lamborghini, le Seth Guex impose un autre fuseau horaire au rap français. Avec sa gouaille inimitable, le king de la punch’ continue de défricher de nouvelles richesses stylistiques qui nourriront (malgré lui) des MCs en panne d’inspiration. Plus que jamais ludique et lubrique, Professeur Punchline s’impose comme l’un des disques phares de 2015.
Site web : http://sethgueko.net/
Publié par SMAC la Gespe
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