Théâtre

Le panthéon de Sébastien Bournac

Du 5 au 13 décembre

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Après 8 ans à la tête du Sorano, Sébastien Bournac tire sa révérence avec un dernier coup d’éclat : la mise en scène du roman de Thomas Bernhard Des arbres à abattre. Ce monument méritait bien de figurer dans son panthéon, fait de livres cornés et annotés, d’auteurs un peu fous et de textes de combats.

Fureur et Mystère, René Char
« Fureur et Mystère, c’est presque un livre de chevet. Ce n’est pas une poésie facile. Mais c’est peut-être précisément pour ça qu’elle m’accompagne. Il nous parle d’une hauteur mystérieuse. J’aime la dimension oraculaire de ses poèmes. C’est à la fois une poésie très austère, fulgurante et très riche. Quand j’ai candidaté à la direction du Sorano, j’avais en tête cette phrase : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. » Il a des formules aussi lapidaires que ça. C’est l’aphorisme et la poésie la plus intense. Ça se gagne. »

Hamlet, William Shakespeare
« C’est le chef d’œuvre des chefs d’œuvre, celui qui contient tout le théâtre. J’ai été prof de prépa pendant dix ans, et j’ai travaillé pendant deux ans avec des élèves de khâgne ce texte que je connaissais déjà bien. J’ai quitté l’éducation nationale quand Hamlet a quitté le programme. Plusieurs fois je l’ai éprouvé au plateau. Je n’ai jamais monté la pièce in extenso mais j’ai bricolé avec. C’est ma caisse à outils d’homme de théâtre. C’est un texte compagnon. »

Du luxe et de l’impuissance, Jean-Luc Lagarce
« J’ai découvert Lagarce avec sa dernière pièce en 1999. Je cherchais un texte pour travailler avec les jeunes de l’Atelier Cité. J’ai eu un gros coup de foudre. Je l’ai monté plusieurs fois. Ça m’accompagne depuis que j’ai créé la compagnie Tabula Rasa – c’était le nom de l’adaptation que j’avais faite de Pays lointain. Ce petit volume est un recueil d’éditos de saison. C’est très simple, puissant et ça témoigne de l’aventure artistique qu’il a vécu. J’ai offert peut-être trente fois ce bouquin, récemment à Karine Chapert qui va me succéder [au Sorano, N.D.L.R.]. C’est un petit vade-mecum de l’homme de théâtre, un point de départ. Souvent, je relis ça, et après je peux écrire. »

Carnets d’Afrique, Miquel Barceló
« J’aime ces artistes qui sont dans une conscience du monde, de l’altérité, qui partent vers l’ailleurs. Je suis un grand voyageur. Je quitte la direction du Sorano et j’ai acheté un billet pour la Patagonie. Départ le 30 décembre. Un mois et demi. Je pars avec un billet d’avion et je me débrouille là-bas. Cette manière de se débattre avec le désordre de la vie et du monde, c’est fascinant. Il tient ce journal parce qu’en Afrique, il est confronté à des conditions de création terribles. On retrouve tout, ses désirs, ses doutes, ses effondrements, ses blessures physiques, les risques qu’il prend. Il est beaucoup plus dans le concret et dans la matière que je ne le suis, je suis plus cérébral. J’ai toujours été fasciné par les gens qui jettent leurs corps dans la bataille. »

Ce qui arrive, catalogue d’exposition, Paul Virilio
« Virilio théorise l’accident généralisé : on est dans une époque qui, par la vitesse, multiplie les possibilités d’accident. Ce n’est plus le fait d’un hasard, on le provoque. Je crois que je fais du théâtre, et pas du cinéma, parce que chaque représentation est un accident. On dit souvent qu’il faut chercher le présent sur scène, et il n’est jamais autant là que quand un acteur perd son texte, quelque chose d’imprévu arrive et tout à coup toute la salle est rassemblée autour de cet accident. L’accident est ce qui nous donne la sensation d’être en prise avec le direct, dans une vérité de l’instant et du partage collectif. »

Jardin d’incendie, Al Berto
« Un très bon ami m’a offert ce livre. Il m’écrit : « Dernier livre d’Al Berto, il savait qu’il allait mourir. » Il y a deux catégories : ceux qui savent et ceux qui ne veulent pas le voir. La conscience de la finitude est indissociable de la puissance créatrice. Al Berto, c’est une sorte de Rimbaud portugais. L’inverse de René Char. Une espèce de fièvre du langage, un rapport beaucoup plus incandescent, éruptif à l’existence. C’est une poésie de la souffrance, du manque d’amour, du manque de l’autre. C’est de la poésie pour témoigner de la maladie de vivre. C’est peut-être too much pour beaucoup de gens. J’aime bien cette exagération. Vivre, c’est aussi en faire trop parfois. »

Théorème, Pier Paolo Pasolini
« J’adore la fable. C’est une parabole qui me plaît beaucoup parce qu’elle est énigmatique et raconte quelque chose de nos vies bourgeoises. Pasolini, c’est le plus grand. C’est rare aujourd’hui des artistes aussi complets. Qui prennent à bras le corps le monde, s’y engagent. Il y a un vrai héritage pasolinien. C’est une figure tutélaire. »

Des arbres à abattre, Thomas Bernhard
« Ces derniers mois, je n’avais plus envie de grand-chose. J’étais arrivé au bout d’un cycle. En écoutant Nabila Mekkid dans J’accuse, j’ai entendu Thomas Bernhard. Je me suis mis à lire tous ses romans. J’ai relu Des arbres à abattre. Ça a été l’éblouissement, enfin quelque chose me donnait envie de revenir. C’est terriblement drôle et méchant. C’est un mec qui passe son temps à bitcher dans sa tête, toute la soirée, sur les autres. Et ça fait du bien ! Comme il déteste tout, il en appelle à partir, quitter cette société fausse, d’intellectuels prétentieux, arrogants, égocentrés et imbéciles. Il exagère, mais c’est aussi ça qui me plaît. Ce qui est beau, c’est que ce n’est pas juste « le monde est pourri et je suis génial ». Il s’intègre dans la médiocrité de son temps. Je suis aussi pourri et corrompu que les gens que je dénonce, la seule différence c’est peut-être que je le sais. J’avais envie de finir par cette espèce de pirouette méchante. » Propos recueillis par Sarah Jourdren

Une irritation – Des arbres à abattre, du 5 au 13 décembre, théâtre Sorano, Toulouse.

Photo : François Passerini

Publié par Rédaction de Ramdam


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