Théâtre

Georges Lavaudant : « Au chaud dans une salle de théâtre »

Du 24 au 29 janvier

Montpellier
Domaine d'O

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Il est un maître du théâtre. Georges Lavaudant s’est imposé depuis des decennies comme un patron incontesté de la scène française. Il a tout monté. Les contemporains beaucoup, mais aussi Musset, Brecht, Shakespeare, Tchekhov, et encore Labiche, Feydeau, Koltès, Tennessee Williams. Bref, il ne s’est privé de rien, son talent lui permettant d’être l’invité de toutes les tables étoilées. Pas toutes à vrai dire, car il n’avait jamais goûté à l’élixir des classiques. Expérience sur le point de se réaliser avec la création du Misanthrope de Molière. Pour déclencher le désir, il lui fallait trouver son Alceste, sorte de Spencer Tracy face à Katharine Hepburn-Célimène dans les comédies de Georges Cukor. Bingo il l’a trouvé, l’interview peut commencer…

Pourquoi monter Le Misanthrope de Molière aujourd’hui, à ce moment de votre carrière ?
Les pièces, c’est un peu une rencontre de hasard et de nécessité. Pour le hasard, je n’ai jamais monté Molière, ni Racine ni Corneille d’ailleurs, de ma vie. La nécessité, c’est que tout d’un coup on se projette sur un acteur, et bien évidemment c’est Eric Elmosnino qui est le déclencheur affectif de cette envie. Pour ces grands rôles, que ce soit Alceste, Hamlet, Woyzeck, etc, on se focalise sur un acteur ou une actrice, et lorsque l’on sait que cet acteur ou actrice sont disponibles, on commence à rêver et à inventer autour d’eux.

Quelle est la difficulté majeure quand on met en scène Molière ?
Ce n’est pas particulier à Molière. Il y a une douzaine de pièces, je dirais Bérénice, Hamlet, bien sûr Le Misanthrope, connues, archiconnues. Concernant ces pièces, le metteur en scène est toujours dans l’inquiète interrogation du pourquoi une énième version. Qu’est-ce que je vais pouvoir trouver d’original, de différent, comment je vais pouvoir déplacer le caractère des personnages ? Sur la diction ? Sur le vers ? Est-ce que ça va être un Alceste bouillant, violent, un Alceste mélancolique ? Il y a cette inquiétude de venir après des mises en scène qui, pour certaines, sont devenues mythiques, on pourrait presque dire.

Alceste, personnage sérieux d’honnête homme, est l’objet du rire des autres. Quelle est la marque du comique chez Molière et en particulier dans Le Misanthrope ?
C’est une question qui est complexe et, bien sûr, elle concerne le metteur en scène. C’est une comédie donc il est bien obligé de se poser la question : qu’est-ce qui fait rire ? Mais dans le fond, c’est bien d’y répondre parole par parole, vers par vers et de se dire que c’est plutôt le rôle du spectateur de décider s’il doit rire ou pas. Personnellement je ne vais pas forcer, me dire c’est une comédie on doit faire rire à tout prix. D’ailleurs, il s’agit plus d’un rire intérieur que de la grosse farce. On rit des situations dramatiques dans lesquelles Alceste se trouve, en particulier dans la scène du sonnet d’Oronte où on participe de son angoisse d’être fidèle à lui-même.

Les classiques, Molière en tête, n’ont qu’une règle : le plaisir du public. Adhérez-vous à cette règle ?
Oui, et je l’étendrais à tout ce que devrait être une soirée de théâtre. Une soirée de théâtre réussie c’est du plaisir, et si à ce plaisir se rajoute de la réflexion et des nouvelles idées, c’est parfait ! Brecht lui-même, et Dieu sait pourtant si on l’a taxé de dogmatique, de ronchon, d’écrivain trop sérieux, disait que le théâtre commence par le divertissement et le plaisir. S’il n’y a pas de plaisir, ce n’est pas la peine d’aller au théâtre, on reste chez soi pour lire un livre de philosophie ou d’économie…

Tout Molière est « à la surface », à fleur de vers, comment l’expliquez-vous ? Cela fait penser à la phrase d’Hofmannsthal : « Il faut cacher la profondeur. Où ça ? A la surface »
La phrase d’Hofmannsthal est tout à fait pertinente. On pourrait la prêter aussi à Tcheckhov quand il parle « de sourire dans les larmes » ou de choses comme ça. Alors qu’il y a presque de la douleur chez Alceste de ne pas être compris, et d’être amoureux de la personne dont il ne devrait pas être amoureux, ce qui le met dans une situation catastrophique, tout cet état devrait être lourd, pesant, ennuyeux… et d’un coup ça vole, c‘est léger, amusant. C’est grâce à cette légèreté qu’on accepte qu’il y ait derrière de la douleur, de l’inquiétude, de la profondeur. C’est un équilibre très fragile à tenir, mais on se doit d’y arriver, autrement cela ne fonctionne pas.

Vous faites partie d’une génération de metteurs en scène « démiurges », les Chéreau, Planchon, Strehler, etc, cette période semble révolue…
Oui, je pense qu’elle est révolue. Comme tout mouvement de l’Histoire, c’est tout à fait normal, il y avait avant nous des metteurs en scène qui pratiquaient différemment. Nous sommes arrivés et nous avons été une génération gâtée, une génération dorée, avec le ministère de la Culture qui nous donnait des moyens nous permettant de bien travailler. Puis, nous avions la mémoire de nos maîtres. Vous citez Planchon ou Strehler, c’étaient plutôt des maîtres pour moi. Je me sens plutôt de la génération des Jean-Pierre Vincent, André Engel, Gildas Bourdet, une génération qui a suivi nos grands maîtres brechtiens et vilardiens, les deux courants. Aujourd’hui, il y a toute une génération de metteurs en scène et de très nombreuses metteuses en scène qui abordent les problèmes du théâtre de manière totalement différente. Encore une fois, c’est le mouvement historique des générations.

Que diriez-vous à un futur spectateur pour lui donner envie de voir votre Misanthrope à Montpellier ?
Il y a quand même cet acteur prodigieux qui s’appelle Eric Elmosnino, qui a obtenu le César du meilleur acteur pour le rôle de Gainsbourg dans le film de Joann Sfar, c’est étonnant de le voir s’emparer du personnage d’Alceste. On vit aujourd’hui dans un monde anxiogène, et le simple fait de venir se mettre en commun au chaud dans une salle de théâtre, d’attendre que le rideau se lève, on sait qu’on va oublier les soucis bien réels pendant deux heures. Enfin, j’ai, bien sûr, très envie que les gens viennent écouter cette poésie formidable écrite par Molière.
Propos recueillis par André Lacambra

Photo : David Ruano

Publié par Rédaction de Ramdam


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