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Théâtre

En route pour la joie

Du 3 au 11 avril

Toulouse
ThéâtredelaCité

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Metteur en scène habitué des auteurs contemporains et familier de Pasolini, Stanislas Nordey s’offre un Hôtel du Libre-Échange en forme d’exutoire après dix ans passés à la barre du Théâtre National de Strasbourg. Tout à sa joie de mener pour le théâtre public une farandole de cocus dans un concert de portes qui claquent, il rappelle humblement cette évidence : Feydeau, c’est du bon théâtre et de la véritable littérature.

Vous avez monté La Puce à l’oreille en 2004. Pourquoi ce retour à Feydeau ?
Après dix ans à la direction du TNS, j’avais envie de joie. Les derniers textes que j’y ai montés étaient forts, beaux, mais noirs : Le Voyage dans l’Est de Christine Angot, Ce qu’il faut dire, une pièce de Léonora Miano sur le colonialisme, ou le Berlin mon garçon de Marie Ndiaye, sur le terrorisme… En sortant, je me suis dit : « Je veux de la joie. » Joie pour les comédiens, joie pour le public, joie pour moi.

En 20 ans Feydeau est resté le même. Et vous ?
Je ne sais pas si j’ai changé mais mon regard sur Feydeau est différent. Quand j’ai monté La Puce à l’oreille en 2004, c’était un défi, une façon de me mettre à l’épreuve et de me mesurer à ce répertoire. Pour moi, Feydeau, c’était la planète Mars. J’avais beaucoup d’a priori. Son théâtre me semblait secondaire.

Comment avez-vous changé d’avis ?
Je l’ai lu. J’ai découvert une écriture absolument incroyable de précision et de rythme, composée comme une partition musicale. Si le texte n’est pas donné avec la rythmique juste, si les temps entre les répliques ne sont pas ajustés à la perfection, alors ça ne sonne pas, ça ne joue pas. Feydeau ne pardonne pas. Il ne faut surtout pas jouer au plus malin avec lui.

Que risque-t-on à le faire ?
La folie et le vertige du théâtre de Feydeau procèdent de sa précision diabolique. S’en écarter, c’est tomber à côté. Il y a 197 entrées et sorties dans le deuxième acte de L’Hôtel du Libre-Échange. 197 ! Si j’en fais 195 au lieu de 197, ou pire, si je place à gauche la porte qui est marquée à droite, ça ne fonctionne plus.

Comment expliquer qu’aucun auteur ne soit, depuis, parvenu à dépasser ni égaler cette mécanique théâtrale ?
Sans doute parce qu’après Feydeau le théâtre s’est scindé en deux. D’un côté le théâtre sérieux avec des auteurs comme Claudel, et de l’autre le théâtre de boulevard. Bien sûr, on continue d’écrire des comédies, mais je vois effectivement peu d’héritiers de Feydeau capables de rivaliser dans la virtuosité de l’écriture. Le seul, peut-être, serait l’auteur argentin Copi. On trouve un peu de la folie de Feydeau dans sa comédie noire.

Copi était très subversif. Feydeau l’était-il ?
Je pense qu’il aurait aimé l’être davantage. Feydeau avait surtout la volonté de plaire et de se conformer à ce qui était admis. Il aurait pu être plus subversif s’il n’avait passé son temps à s’autocensurer. On s’en aperçoit quand on se plonge dans les premiers manuscrits. Le deuxième acte original de L’Hôtel du Libre-Échange est traversé par des dizaines de prostituées, dont certaines très âgées, qui montent et descendent les escaliers. Mais entre cette version et la copie finale, Feydeau a tout édulcoré pour s’assurer que la pièce soit jouée.

Pourquoi avoir choisi de monter L’Hôtel du Libre-Échange  ?
Feydeau a beaucoup écrit mais je retiens quatre chefs-d’oeuvres : La Puce à l’oreille, Le Fil à la patte, Occupe-toi d’Amélie et L’Hôtel du Libre-Échange. Ce sont les pièces les plus folles et délirantes. Il y a 20 ans, après La Puce à l’oreille, j’étais tellement heureux du résultat que j’ai été pris immédiatement par l’envie de monter L’Hôtel du Libre-Échange. J’avais même commencé à travailler sur la production, mais je ne suis finalement pas allé au bout. La monter aujourd’hui n’en prend que plus de saveur.

Pourquoi ?
Parce qu’on n’a pas tous les jours l’occasion de monter une pièce avec 14 acteurs, plusieurs décors et changements de costumes dans un contexte de baisse de subventions. Surtout dans ce théâtre public où l’on snobe parfois Feydeau. C’est une erreur : son théâtre est dans la Pléiade, et c’est de la vraie littérature.

Le théâtre public en est encore là ?
Non, il a bien évolué. Je ne suis pas le seul à avoir monté Feydeau. Alain Françon et d’autres ont montré que ce théâtre est fréquentable. Et d’ailleurs, peu importe. Ce qui compte, c’est le public. Celui d’aujourd’hui a envie d’être emporté par une forme de folie. Cette pièce-là le permet.

Votre théâtre s’inscrit le plus souvent dans des décors minimalistes. À quoi ressemblent ceux de votre hôtel du Libre-Échange ?
Si l’on transcrit fidèlement les intérieurs bourgeois du début du XXe, on s’ennuie vite. Chez Feydeau, ce n’est pas le décor qui crée la joie mais le texte. Comme pour La Puce à l’oreille, j’essaie donc d’ouvrir l’imaginaire du spectateur en le déplaçant loin du décor Belle Époque auquel il s’attend. Je me fonde sur le caractère intemporel des intérieurs bourgeois : les œuvres et le mobilier d’avant-garde qu’on étale pour épater la galerie. On est donc partis sur une décoration et des costumes un peu brindezingues.

Ce Feydeau croque des rapports hommes-femmes vieux de 130 ans. Le public de notre époque traversée par les questions de genre et des pensées nouvelles y trouve-t-il son compte ?
Il y a deux couples dans la pièce. Dans le premier, la femme a une libido très forte et l’homme n’en a pas du tout. Dans le second, c’est l’inverse. Qui peut dire que ce ne sont pas des schémas d’aujourd’hui ? D’une manière ou d’une autre, on se reconnaît toujours chez Feydeau. C’est là sa grande force. Son théâtre n’est pas uniquement bourgeois. Il traite de l’humain, de ses défauts, de ses démons, de ses faiblesses et de ses fragilités.

Votre théâtre est marqué par de grandes adaptations de Pasolini, qui a en commun avec Feydeau un propos sur la bourgeoisie… Est-ce la raison de votre intérêt pour eux ?
Vous poussez le bouchon un peu loin mais après tout, il y a effectivement chez eux cette volonté de faire imploser le carcan de la bourgeoisie et d’aller droit à l’émotion. Une façon identique, aussi, de gratter le vernis pour toucher la passion.

Propos recueillis par Sébastien Vaissière

Photo : Jean-Louis Fernandez

Publié par Rédaction de Ramdam


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