Théâtre
Baro d'Evel : " Faire corps"
Après Mazùt et Falaise, Baro d’Evel revient dans son giron toulousain avec le très attendu Qui Som ?, acclamé à Avignon. Née dans la rue en 2000 et mûrie sous chapiteau, la compagnie de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias s’épanouit désormais sur les plateaux des grands théâtres. Le résultat d’un processus de création chaotique, libre et centré sur le corps, à la bonne marche duquel veille Laurent Ballay, le directeur délégué de la compagnie.
La création de Qui Som ? a fait l’unanimité cet été à Avignon. Est-ce un tournant pour la compagnie ?
On pressentait que cette création à l’invitation de Tiago Rodrigues serait cruciale pour la compagnie. Restait à savoir dans quel sens. Camille et Blaï savaient que des professionnels du monde entier seraient présents et qu’un public nouveau poserait les yeux sur nous. Ils voulaient donc montrer avec Qui Som ? toutes les dimensions de Baro d’Evel, et insuffler leur convivialité de chapiteau dans le festival in.
Cette convivialité a marqué l’an passé les spectateurs toulousains de Falaise. En particulier la sortie du spectacle accompagnée jusque sur le parvis du ThéâtredelaCité par les comédiens mués en musiciens de fanfare…
Cette façon de déborder est propre à Camille et Blaï. Elle vient du chapiteau mais procède aussi de la trouille. Avec Falaise, ils se frottaient pour la première fois à de grands plateaux. Cela les intimidait beaucoup. Pour surmonter l’appréhension et se sentir chez eux, ils ont substitué aux codes habituels du théâtre des codes qui leur étaient familiers. D’où la première scène absurde et burlesque jouée devant un rideau fermé, et la sortie en fanfare qui n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis la première représentation.
Pourquoi prend-elle de l’ampleur ?
Au départ, elle était plus modeste. Il n’est pas facile de demander à des artistes de choisir un instrument, d’en apprendre les bases, d’en jouer pour accompagner la sortie du public après deux heures sur scène à donner le meilleur d’eux-mêmes, puis d’aller à la rencontre des gens pour discuter et distribuer des affiches...
Quel regard le directeur délégué que vous êtes porte-t-il sur le processus créatif de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias ?
Ce qui me frappe, c’est qu’avec eux toute recherche commence, passe et finit par le corps. Leur processus créatif est une succession de moments forts et de creux intenses. Au départ, ils explorent sans interdit ni barrière financière ou humaine, et bâtissent les premiers éléments sur lesquels s’appuyer. Ils pensent alors avoir trouvé. Mais le doute s’installe et arrive un moment où ils ne savent plus comment faire. J’ai l’impression que cette étape inconfortable leur est indispensable. Ils y puisent le courage de trancher, de renverser la table et de renoncer à certains pans de leur création. Ils créent ainsi 4h30 de spectacle pour n’en garder que 90 minutes.
Des exemples sur Qui Som ?
Je pense d’abord à certains costumes qui ont demandé énormément de travail et qui ne sont pas dans le spectacle. Je pense aussi à des scènes magnifiques dont Camille et Blaï sont longtemps restés persuadés de l’évidence, et qui ne figurent plus à l’écriture. Je pense enfin à la quantité de poteries utilisées, qui a été revue à la baisse.
Pourquoi ?
La céramique occupe une place centrale dans Qui Som ? et se brise au fil du spectacle. À mesure que l’écriture avançait, on a craint que le volume à tourner chaque jour ne dépasse les capacités de production des deux céramistes qui nous accompagnent. Il a donc fallu rogner sur certaines idées artistiques pour rendre le projet réalisable.
Les contraintes financières, logistiques et administratives dont vous avez la charge sont-elles des catalyseurs ou des freins à la création ?
Elles apportent davantage de solutions que de problèmes, et le cadre qu’elles fixent rassure plus qu’il ne contraint. Il arrive que Camille et Blaï s’interrogent sur le décor et se demandent jusqu’où aller. Parfois, le simple fait de rappeler que le budget de la tournée nous interdit de passer à deux camions et que le décor doit entrer dans un seul, suffit. Cela réduit nos choix artistiques mais pose des limites dans lesquelles les exprimer. De belles choses émergent souvent de cette recherche de solutions.
Comment avez-vous trouvé votre place auprès de ce couple de créateurs soudé ?
Nous nous connaissions avant mon arrivée en 2017. Nous savions que nous partagions la même vision et la même humeur. J’ai donc trouvé ma place naturellement. Nous avons formé au départ un quatuor de direction avec Marie Bataillon, jusqu’à ce qu’elle rejoigne le théâtre Garonne en 2020.
Qu’entendez-vous par « la même humeur » ?
Camille et Blaï cherchent à travailler avec des gens posés qui gardent de la douceur dans les désaccords.
Y parviennent-ils ?
Ils y arrivent en donnant l’exemple, en créant des moments de convivialité et en ne se prenant pas au sérieux. Il y a un grand principe à Baro d’Evel : 5% de blagues au minimum dans les réunions. Même les plus tendues. C’est une règle très établie chez nous, tout comme le décloisonnement des missions.
Comment ce décloisonnement se manifeste-t-il ?
On cherche des professionnels compétents et curieux du travail des autres. On fait en sorte qu’artistes et techniciens partagent des missions communes, comme rouler les affiches ou réparer les costumes. Sur Falaise, deux artistes participent au montage du décor. Sur Qui Som ?, d’autres participent à la peinture des poteries.
Cette organisation et ce processus créatif sont mis au service d’un propos artistique qu’on perçoit de plus en plus clairement. Camille et Blaï refusent pourtant de justifier leur travail sous le signe d’un quelconque « message ». Comprenez-vous pourquoi ?
Si tout passe chez eux par le corps, c’est justement pour ne pas avoir à verbaliser leur message. Et quand ils le verbalisent, il est masqué par l’humour et l’absurde. Ne cherchez donc pas de message. Considérez Qui Som ? comme un début de phrase en suspens dont Camille et Blaï laissent au public le soin de trouver la suite. Propos recueillis par Sébastien Vaissière
Qui Som ?, du 2 au 15 décembre, Théâtre de la Cité, Toulouse.
10 et 11 janvier, Le Parvis, Tarbes /
Mazùt, 28 et 29 novembre, Théâtre de l’Usine, Saint-Céré
Photo : Christophe Raynaud de Lage.
Publié par Rédaction de Ramdam